Entre-deux, between, entre deux points, deux bornes, deux instants.
Entre deux limites, comme Lange & Linceul de Julien Blaine [p.11], associant en deux tuniques, qui recouvrent son torse, les deux instants qui déterminent l’existence humaine, naissance et mort : sa finitude. Le livre de la vie, à même la peau livrée de Blaine : être à chaque instant entre ce recto et ce verso, dans cet entre-deux, “le temps en tant que fuite du non-être (futur) au non-être (passé)” comme “épreuve de l’humaine condidtion” [Plio. W. Prado Jr. Entre-deux, p.148].
Entre-deux, aussi quant à ce qui écrit et compose cette revue internationale (France-Etats-Unis): non pas seulement écriture d’un côté et de l’autre recherche graphique, mais simultanément, et ceci dès la première partie papillonne, écriture graphique, spatiale, écriture qui ne part pas du verbe et de la littérature tout d’abord, mais bien de la vie. Car ici, ce n’est pas une revue avant tout de poésie ou bien d’art, mais bien plus, et ceci rappelle d’une certaine manière la revue Livraison, une revue qui tente de donner un lieu pour la vie : celle du regard (photographie), de l’action (performance), de la pensée (écriture), de la vibration (son) sans que chacune de ses lignes ne soient exclusives, se constituant en parallèle des autres. Toutes se mêlent, se tissent et se croisent.
Mobile, fait penser à la question du flux, mobile la vie, la vie en flux. Et c’est précisément cela que met en évidence Richard Martel dans son article Intermédia chez Higgins et Bruno [pp. 130-133]. Le flux n’est pas défini a priori en sa plasticité, mais plutôt se confrontant au monde, il se déplie selon des plasticités qui ne sont qu’une des facettes de sa poussée énergique. Richard Martel à partir de cette piste montre en quel sens Giordano Bruno, “mort en 1600, brûlé par l’inquisition” ouvre une possible voie menant à fluxus. Ainsi dans Imaginum, Signorum et Ideorum Compositione, il écrit : “La véritable philosophie est musique, poésie ou peinture; la véritable peinture est poésie, musique et philosophie, la véritable poésie ou musique est une certaine sagesse divine de la peinture”. Ce que souligne Martel, ce n’est pas tant tout d’abord le caractère des correspondances, des renvois, de l’énergie une qui se déplie en des modalités distinctes, mais plutôt à quel point — face à toute catégorisation et restriction des arts dans des champs institués et cloisonnés — Giordano Bruno définit l’art en-dehors des limites académiques des pratiques. Giordano Bruno ne pose pas que l’art serait découpé en discipline, mais bien plutôt qu’il se donne — à l’instar au XIXème siècle de Baudelaire — selon une hétérogénéité consubstantielle, des possibilités combinatoires infinies, en bref selon sa possibilité de transformation et de libre association aussi bien des médiums que des matériaux de la pensée. Et c’est ce qui rejoint Fluxus et notamment la définition de l’intermédia par Dick Higgins, au sens où “Higgins avec son intermedia insistait justement sur ces possibilités d’interférences et de mixité”.
Ce n°01 de Mobile se donne ainsi comme une forme d’enquête, qui recherche les témoignages de cette vie qui s’incarnant, se refuse (non pas selon la conscience, mais en tant que la conscience est la médiation du refus) à la restriction d’un champ, d’une discipline. Denis Chevalier d’emblée dans son Go between [pp.96-97], l’indique : “ce qui est/fait art est sans discipline, “extradisciplinaire (cf. Brian Holmes et Stephen Wright)”, l’art se donne jusqu’au refus d’appartenir à la catégorie de l’art, ou bien de correspondance à la représentation à chaque fois époquale de ce que l’on désigne part art : “art sans art” ou encore “art sans identité d’art” pour reprendre les expressions de Jean-Claude Moineau. Témoignages qui sont nombreux dans le numéro : Philip Corner réondant aux questions de Valentine Verhaeghe [pp. 98-106], Charles Dreyfus [pp. 107-109], Krzysztof Knittel [pp.115-121]…
La vie se tiendrait ainsi sans cesse dans un entre-deux, serait entre-deux, tisserait des entre-deux, des liaisons, des correspondances entre les étants séparés qui constituent le monde. Si pour une part on pourrait rappeler la définition du Beau chez Lautréamont, qui est bien la mise en jeu des relations possibles par la pensée : “Beau comme la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection”, et qui correspond à certains travaux présentés dans Mobile, telle la rencontre du gymnaste et de l’escargot créée par Agnès Rosse [pp.60-61], ou bien encore ce détournement de Patrice Lerochereuil : Chassez le clown, il revient au galop, affublant un bronze monumental de rue d’un ballon, amenant une forme de distorsion de “la signification de l’objet, son symbolisme, son contenu” [pp.54-55], toutefois, les travaux qui paraissent les plus intéressant sont ceux qui recueillent les créations spntanées d’entre-deux dans la vie elle-même. C’est ce que réalise parfaitement Hortense Gauthier dans son beau travail photo-sono-graphique : [Bande-son]/memory screen/centre Pompidou. Nous faisons face à une double page constituée de 90 vignettes photographiques qui sont des fragments d’écran qui habillaient une exposition à Beaubourg. Elle relie ces vignettes aux phrases dites par le public face à l’écran durant les photographies. Jeu des phrases, parfois absurdes en liaison aux écrans, enregistrement tout à la fois de ce qui est vu et de celui qui voit. Se positionnant dans l’entre-deux du vu et du voyant, elle montre par subreption comment le voyant, l’homme, sort de sa position et tisse ses liens, ou se met à distance de ce qu’il voit.
Dans l’ensemble ce n°01 de la revue Mobile dirigée par Valentine Verhaeghe et Michel Collet est vraiment à découvrir, car elle traduit une grande recherche de cohérence, faisant que le numéro, nous amène par induction vers une analyse conceptuelle de cet être-entre-deux, cet entre-deux-être (on part des oeuvres pour aller vers des textes philosophiques, notamment celui de Plio. W. Prado Jr. qui est d’une grande qualité, partant des recherches derridéennes sur la question du dire ou encore celui de Louis Ucciani construisant une très belle digression à partir d’une situation d’entre-deux décrite par Houellebecq). Reprécisons que cette revue a une vocation internatonale, grâce au travail de Montagne froide, travaillant entre les Etats-Unis et la France.